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« Objetiser, savourer l’art »    
 par Yves Sabourin




Depuis ses débuts, l’artiste plasticienne Corinne Fhima érige, taille, égratigne et façonne plusieurs perspectives tant dans ses médiums découverts et élaborés que dans ses expressions esthétiques et, ose mélanger les enseignements qu’elle a reçus à ses recherches, expériences et découvertes. C’est une artiste à l’ADN pluridisciplinaire.

Aujourd’hui, la matière artistique développée par Corinne Fhima est une association de matériaux et de techniques qui se déploient dans des attitudes mixant sans a priori la suavité, comme le grinçant et l’ivresse de la couleur ou le tactile par l’entremise de nombreux matériaux traditionnels, mais également issus hors du territoire des arts plastiques. L’artiste possède cette aisance qui appartient à ceux qui savent se nourrir sans préjugé, font siennes les histoires personnelles comme familiales et, qui n’ont pas de retenue à déraper, glisser afin de cultiver cette constante ouverture d’esprit qui sied aux visionnaires et reste primordiale dans la création.

Ses différentes formations entre l’image, les nouvelles techniques et celle plus classique des beaux-arts tout aussi essentielle puisqu’associée à l’histoire de l’art, lui procurent la nécessaire autonomie. La peinture et ses représentations figurent certainement comme le terreau premier à la germination de ses expressions futures sans mettre de côté une triple attitude indivisible que sont l’humour, la dérision et le sérieux. Il suffit d’observer sa LILI PEAU D’CHIEN peinte durant ses études en 1989, pour être face à une œuvre qui présente déjà l’ardeur de sa matière artistique en fusion, où la culture populaire s’épanouie entre la chanson d’Aristide Bruant (1) et la silhouette d’une Marianne, très culottée ayant déjà l’envie d’expérimenter l’expression corporelle.

Dans sa pratique, Corinne Fhima s’intéresse sans retenue aux matières usuelles comme improbables sans omettre le textile, ses techniques et ses rendus trop souvent analysés « à la légère » et qui intègre allègrement son œuvre de façon indissociable aux autres médiums. L’artiste a bien saisi que depuis l’histoire de nos civilisations, le textile fait corps avec la création, tout comme l’analyse d’une œuvre d’art devrait se faire en prenant en compte les matériaux et les techniques. Aucune frontière ne délimite le territoire de prospection esthétique élaboré par l’artiste ayant assimilé dans le temps notre histoire, les traditions familiales, l’instruction mais également de solides notions patrimoniales des plus étendues. Dès les années 1980 et jusqu’aux années 2000, le cochon – animal protecteur de « sa » famille – devient son modèle fétiche. Pig est dès lors son allié idéal qui lui permet d’élaborer et de composer ses œuvres en dessin, peinture, collage et sculpture.

Après les beaux-arts en 1992, l’artiste échafaude une série d’œuvres aux techniques mixtes COCHONS DE COCHON où elle exprime son plaisir d’user sans appréhension tous les matériaux qui stimulent son esprit tactile, tout en les associant à la peinture. Afin de modeler la silhouette de COCHON PAILLE, elle utilise de la paille. Pour COCHON FEU DE LA RAMPE, elle installe sur une toile à matelas tenue par deux vieux bouts de bois où sont clouées des pommes jaunes, deux portraits photographiques : l’un, une belle tête de cochon et l’autre, un visage issu d’une peinture primitive ; l’ensemble faisant ainsi référence à un miroir de star aux reflets plus qu’interrogatifs. Avec COCHON DE BAIN, elle compose une grande pièce de 230x150 cm avec une niche qui ressemble à un bonnet de baigneur et dans laquelle elle peint son cochon bleu, drapé dans une serviette de bain et dont le groin est affublé d’une passoire trépieds en fer blanc. Dans cette galerie de portraits, l’artiste revendique et confirme : « aucune retenue si cela est nécessaire ».
En 1996, l’exploitation de la silhouette porcine continue avec une peinture délirante, un diptyque osant mêler surréalisme et réalité économique. COCHON UNITED COLORS rappelle ainsi la grande et novatrice campagne de pub lancée dans les années 1990 par la marque italienne de vêtements Benetton (2) avec son slogan historique « United Colors Of Benetton ». Mais ici, c’est Pig qui devient slogan et s’affiche sur des panneaux à roulettes. Toujours en 1996, COCHON OPTIMISME DÉMESURÉ, est composé d’une toile sur laquelle Pig est traité comme un porc – un animal à consommer – et qui réfléchit sur son devenir, matérialisé par une énorme saucisse en tissu couleur salaison et placée juste devant son groin. Plus tard en 2001, Pig toujours présent dans COCHON CRISE IDENTITAIRE s’interroge encore. Le portrait de l’animal chéri, vite brossé à l’acrylique rose, se réjouit de pouvoir cette fois échanger avec un autre animal, sorti de la filière « viande », un poulet à poil, totalement dénudé et sculpté dans un plastique polyester « rose bonbon » ; installé maladroitement sur un sceau en acier galvanisé, lui-même en équilibre sur un tabouret, il est comme tenu en laisse à la toile. Une installation pour d’inutiles confidences !
 
En 2002 avec PIG REVISITED ENERGY, Corinne Fhima modèle en feutre gris et rembourré un énorme cochon volant blessé et pansé d’une croix rouge, qu’elle installe au mur. Juste en-dessous, trois bassines en acier galvanisé, où mijotent dans du feutre rouge sang des os en plastique d’une blancheur immaculée, sont posées sur des tabourets. La symbolique comme l’inspiration sont affichées : c’est le feutre qui sauve l’animal totem et qui donne l’occasion à l’artiste de rendre un hommage burlesque mais sincère au travail artistique réalisé dès les années 1960 par Joseph Beuys (1921-1986) autour de cette matière salvatrice qu’est le feutre : un non tissé préhistorique composé de matière animale venue d’Asie centrale.

En 2005, Corinne Fhima décide d’intégrer physiquement son œuvre. Elle érige son autoportrait, prend le nom d’Ève et élabore sa série PIG SERIE AND EVE dans laquelle elle se représente la tête coiffée d’une perruque, les pieds de bottes, les mains quelque fois de gants et le corps toujours dénudé, protégeant ses parties très personnelles par des camouflages numériques. Dans TO BE, sur un fond de toile de camouflage et entourée de plusieurs Pigs peints ou en images vidéo, l’artiste est chaussée de bottes « imprimé camouflage », porte une perruque blonde et bouclée et, accessoirement des gants en silicone rose, ceux qui servent à faire la vaisselle. Ses mains cachent son sexe. Ève essaye-t-elle par solidarité de se confondre avec le règne animal ? Si cela en est la raison alors le motif de camouflage traditionnellement militaire – une création française datant de la Première Guerre mondiale – se transforme ici en motif champêtre comme dans une verdure pour y vivre sereinement. Avec EVE AND BUREN STORY, c’est un clin d’œil qu’elle porte au travail de l’artiste Daniel Buren et son utilisation dès 1965 de la fameuse bâche rayée. Ève accompagnée de Pig se représente par trois fois, chaussée d’un groin sur fond de rayures verticales, horizontales et bariolées. Elle soulève d’énormes bouches de satin rouge, pulpeuses et rembourrées en référence au délirant et brillant artiste espagnol du 20ème siècle Salvador Dali (1904-1989) qui s’inspira de la bouche de l’actrice et chanteuse Mae West (1893-1980), véritable sex-symbol des années 1920, pour créer son « Canapé Boca » (1937). D’autres artistes appartenant à l’histoire de l’art sont aussi épinglés comme Sandro Botticelli (1445-1510) et sa célèbre peinture « Naissance de Vénus » (1484-1485). Dans la composition VENUS (2005), Corinne Fhima s’amuse à transposer la déesse sur un tissu camouflage. Sa silhouette est peinte en « vert pomme » et sa chevelure rousse comme une orange. Puis, elle y colle les photos de trois cochons et pour donner la réplique, elle dispose un téléviseur au sol accompagné d’un libidineux escargot en tissu rouge fraise. Plus intrépide encore, EVE ON THE PROMISED LAND 3 s’inspire du photographe japonais Nobuyoshi Araki (1942), connu pour ses érotiques bandages ou kinbaku-bi venu du Pays du Soleil Levant. Ainsi, Ève en léger volume apparaît « planant » au-dessus de la plage de Tel-Aviv, le sexe drapé d’une écharpe au motif rayé d’un talit (3) et ligotée, saucissonnée : son premier bas-relief !

En 2008, Corinne Fhima met en scène Pig dans EVE WAITING FOR LOVE. Elle représente de façon crue comme la tête d’un porc sur l’étal d’un charcutier et à ses côtés, en photo sublimée sur bâche, Ève est de dos, bottée de rouge sur fonds de rayures horizontales oranges. Devant au sol, se tiennent trois sculptures de cactus façonnés en toile à matelas traditionnelle ou skaï rouge et plantés dans des pots d’argent.

Dès lors Corinne Fhima s’engage sur la voie de la mise en volume de ses sculptures ou bas-reliefs, rendue possible par ce procédé que l’artiste élabore en travaillant à partir de ses photographies sublimées sur différents textiles, selon les rendus recherchés, qu’elle découpe, double, et réunit par une couture et y introduit du rembourrage. C’est ainsi qu’en 2011 Corinne Fhima crée EVE CHASSE PECHE TRADITION. Sur un support photographique résolument plat au décor d’un tapis d’Orient, l’artiste installe Ève en volume totalement nue, les yeux censurés, la tête en bas et ornée d’un bois de cerf qui court sinueusement sur son corps.

En 2012, Corinne Fhima augmente visuellement et savamment l’intensité charnelle en devenant un objet de désir, un désir comestible. C’est pourquoi elle n’hésite pas à se rhabiller afin d’endosser des travestissements aux accents de phantasmes érotiques peuplés d’héroïnes de fables, de bandes dessinées ou de séries télévisées. Avec EVE WAITING FOR THE WOLF, le tableau prend la forme d’une énorme barquette alimentaire en polystyrène dans laquelle elle y love Éve déguisée en Petit Chaperon rouge emballé sous-vide. En 2014, pour EVE MARKET SERIE et EVE FACTORY (en 2015 à 8ème Avenue Art Fair sur le stand de la Galerie Baudoin Lebon puis à l’occasion d’une invitation en Chine en 2019), l’artiste ajoute un nouveau médium : sa propre personne. Ève devient réalité et pose dans un décor d’entrepôt de supermarché chinois entre présentoirs et charriots. L’artiste se représente dans ce qui peut être défini comme une installation performative. Elle est le « directeur d’usine » simplement habillée d’une perruque blonde, d’une blouse blanche, de manchettes de protections bleues, et de bottes noires. Ève fait elle-même l’autopromotion de ses nouveaux produits sous-vide, des objets d’art prêts à consommer. Corinne Fhima en s’amusant avec sérieux nous embarque dans un jeu de miroirs qui transporte l’œuvre dans l’œuvre, l’artiste dans l’artiste, une mise en abîme avec de multiples perspectives. Du baroque au service du mercantile !

En 2015, EVE « POULETTE » dévoile une Ève libérée de tout décor. Plus de fond, plus de support, juste son corps sublimé sur une toile synthétique qui devient volume, telle une petite figurine ou une poupée fétiche à suspendre. L’artiste choisit de réutiliser l’Ève de 2003 représentée dans TO BE; cette fois la poitrine est nue et les yeux sont censurés du rectangle noir.

Afin de continuer son autopromotion entre 2017 et 2018, Corinne Fhima réalise une performance filmée pour laquelle elle se métamorphose en Wonder Woman et rameute une équipée de représentantes commerciales. Toutes marchent sous la bannière EVE DELIVERY IN dans les rues de Paris afin de distribuer « des barquettes d’art sous-vide ». Ève performe également en solo aussi bien à la Butte Montmartre qu’en Slovaquie à Bratislava. En 2019, pour amplifier son analyse critique et pittoresque sur l’art et l’argent, Corinne Fhima s’attaque au consumérisme et transforme Wonder Woman en EVE HOME qui fait du rodéo sur un gigantesque homard rouge à l’instar de ses bottes. Cet animal déjà croisé en 2018 lors de la Nuit blanche possèderait le pouvoir de « faire table rase » en évacuant les choses du passé qui n’ont plus d’intérêt. Cette Ève-Wonder Woman, sur fond de « La Vague » gravée par Hokusai (1760-1849) en 1831, devient l’égérie d’une marque de linges de maison avec des parures pour la salle de bain, allant du rideau de douche au peignoir et de la serviette au tapis. Comment ne pas se noyer dans sa salle de bain avec cette une super héroïne américaine : « Oh ! Regardez dans la clarté du matin - Le drapeau par vos chants célèbre dans la gloire » (4).

Cet engouement pour toutes ces matières issues de la surconsommation et des produits à bon marché permet à Corinne Fhima de s’engager dans de grandes œuvres murales. En 2016 à Paris lors de la Nuit Blanche, l’artiste élabore une sculpture composée de ballons argentés gonflés à l’hélium, brillants, marqués de son effigie avec comme socle un tricycle à moteur en fonction. L’artiste n’hésite pas avec jubilation à prendre le chemin des supermarchés pour cueillir toutes sortes de fleurs en tissu synthétique, jouer à « la pêche miraculeuse » d’objets et de bouées gonflables afin d’expérimenter ces nouveaux médiums. En 2019 au 53 Art Museum à Guangzhou (anciennement Canton) en Chine, l’artiste crée son premier grand relief mural EVE PARADISE OK de 300x 300x 25 cm. Il a la forme d’une main le poing fermé et le pouce levé comme le signe du « ok ». C’est comme un parterre fleuri, redressé et modelé tout en fausses fleurs dans lequel flottent entre autres des sujets gonflables tels un lapin lubrique aux yeux rouges, une Minnie et un « smiley ». S’agit-il du paradis rêvé avec toutes ses couleurs festives ou plutôt du paradis sur terre avec tous ses aspects bariolés, surfaits et obscurs ? EVE PARADISE OK est reprise en 2021 à la Biennale de Larnaca à Chypre. Composée de façon plus délurée, la silhouette est cette fois marquée par un ruban de DEL (diodes électroluminescentes) est garnie de fleurs artificielles et d’objets gonflables pour jeux aquatiques : un smiley bien jaune se cache derrière un énorme cœur rouge transparent qui chevauche une banane jaune aux lignes noires, elle-même posée sur une gigantesque tranche de pastèque rouge à la peau vert pomme et qui cache un petit orque. Plus bas une étoile de mer, à l’opposé l’œil porte-bonheur, une tradition méditerranéenne et, en haut dans le pouce, un canard volant qui tente de souffler dans un tuba jaune citron. Cette accumulation qui semble improbable ne l’est pas, bien au contraire. Car qu’importe le nombre de carats afin d’évaluer une forme de pureté comme celle qui peut se trouver dans l’accumulation. C’est une charge en matériaux comme en propos artistiques puisqu’elle y ajoute ses performances. Ève revient, posant devant l’œuvre en « directeur d’usine » de 2015. Puis Ève endosse le rôle de la « collégienne américaine » portant minijupe et chemisier blanc. Le tridimensionnel est établi.

Dans la foulée Corinne Fhima modèle un second relief TWITT PARADISE en s’inspirant de l’oiseau bleu en train de gazouiller de la société Twitter (5). Mais chez l’artiste, le volatile n’est pas un logo, il est le reflet critique d’une société en surconsommation dans tous les domaines, y compris celui envahisseur de la communication via les réseaux sociaux. L’artiste redonne à l’oiseau couleurs et volumes. Même si tout est synthétique, il chante l’hétérogénéité. Cette fois, TWITT PARADISE a l’allure d’une tenture, de 280 x 200 x 30 cm, composée de sacs jumbo mis à plat, ceux qui servent officiellement à ranger des vêtements mais trop souvent détournés en valise par nécessité. Tous composent une sorte de cacophonie de bannières tricolores ou quadricolores. Quant à la silhouette, elle est dessinée à l’aide de rubans et tresses en passementerie cousus. TWITT PARADISE exhibe fièrement son œil fait avec un globe terrestre gonflable et son plumage métamorphosé en jardin artificiel multi saisons où volètent avec beaucoup d’aisance et de fronderie, des fruits, des instruments de musique gonflables et un ballon de soccer. On y trouve également un panneau de bienvenue « welcome », la silhouette de Titi le copain de Gros Minet, des paniers en osier et en plastique, un filet à papillons pour attraper des bidons en plastique et, en plein milieu, un grand dièse blanc qui donne le « la » à cette composition picturale aux dissonances harmonieuses. Corinne Fhima n’a pas oublié son premier geste de plasticienne : peindre et sculpter, mais avec des fleurs. Dans cette atmosphère d’un nouveau monde exotique, il est possible d’entrevoir un autre clin d’œil à l’artiste Américain Jeff Koons et ses imposantes sculptures de chiens tapissées de vraies plantes fleuries « Puppy » (1992) ou « Split-Rocker » (2000). À l’instar de l’artiste et ses plantes destinées à faner sur les œuvres, Corinne Fhima joue l’espiègle en usant uniquement de matériaux bon marché afin de créer des œuvres toutes aussi périssables puisque dégradables.
 
Corinne Fhima est « à l’aise » dans ses glissements artistiques, maîtrise tout aussi bien le sens que la composition et elle nous le démontre depuis qu’elle élabore ses œuvres en transformant n’importe quelle matière en médium et en glanant sans préjugé toutes sources d’inspiration. C’est ainsi que depuis 2021, le domaine du sport intègre son terrain de jeux. Ève revêt toutes sortes de maillots et shorts pour habiller EVE LOVE SPORT dans cet univers impitoyable où se mêlent l’exaltation des corps, des joueurs comme des supporteurs, mais également la commercialisation sans limite de tous logos sur tous supports. L’artiste lance sa nouvelle collection et nous retrouvons en « tête de condole » Ève dans une barquette sous-vide, toujours sublimée sur bâche, cousue et rembourrée, en footballeuse ou en basketteuse mais portant toujours les fameux gants roses de ménagère et des bottes ou escarpins aux talons aiguille. L’artiste franchit allègrement la ligne et produit une série d’œuvres d’art, dans son expression la plus crue, où elle devient le logo, plaqué indifféremment sur tout objet collector pour rassasier les aficionados des ballons ronds ou ovales.

Chez Corinne Fhima, l’utilisation et la représentation de son corps comme un modèle, un objet, de la viande sous-vide, comme du fonctionnel alimentaire pas si usuel, l’exposition de sa chair qui glisse hors des règles de bienséance mais toujours maîtrisée, peuvent aiguiser l’excitation, du phantasme devant un corps consommable. Il est évident qu’il ne peut être ignoré certaines réticences à l’inconnu, au vide, à la non-connaissance ou encore à l’ignorance, car chez l’artiste le charnel est sérieux mais déluré, certes un peu libertin et cru mais c’est ce qui lui donne vie. Ce n’est pas sans rappeler certaines œuvres de notre histoire de l’art occidentale où le corps, dans des attitudes des plus lascives, arborait une sensualité provocante et humide et ont pu susciter des émois ou des agitations voire des rejets. Entre 1607 et 1608, la « Suzanne et les vieillards » peinte par Pierre-Paul Rubens (1577-1640) a cette carnation incarnée sans vulgarité ! En 1654, Rembrandt van Rijn (1606-1669) peint « Bethsabée au bain tenant la lettre du roi David » sans aucune pudeur si ce n’est une retenue bienséante avec la lettre qu’elle tient dans sa main droite. Plus tard en 1866, dans une composition plus crue et plus moite Gustave Courbet (1819-1877) nous plonge dans « L’Origine du monde ». Entre 1875 et 1877, Auguste Rodin élabore « L’Âge d’airain » et réussit à travers la sculpture, en plâtre puis en bronze, à traduire la nudité toute lascive et abandonnée d’un jeune homme, le modèle Auguste Neyt, qui fut capté dans la même attitude et sans doute dans l’atelier du maître, par le photographe Gaudenzio Marconi (1841-1885). Plus tard en 1907, Pablo Picasso (1881-1973) nous fait oublier avec ses « Demoiselles d’Avignon », par le truchement de cette modernité cubiste, les corps des femmes nues aux attitudes lascives et aguicheuses. En 1980, Robert Mapplethorpe (1948-1989) immortalise sur le papier argentique « Man in Polyester Suit », un corps noir ultra sexué et sublimé par un rendu tactile de la peau comme du costume synthétique. Et même dans une chanson de variétés « Striptease » (1979), la chanteuse québécoise Diane Dufresne réussit l’interprétation ultra érotique de l’œuvre composée par Luc Plamondon (musique) et Germain Gauthier (paroles) : « Donnez-moi vos phantasmes, que je les exorcise – Mes mains caressent mes seins – Comme vous le feriez si bien – Je sens un frisson qui vous saisit – It’s crazy, it’s crazy ». Le vocal et le sensuel se glissent dans l’érotisme et jouent du licencieux comme Corinne Fhima s’amuse d’un libertinage pictural.
Corinne Fhima démontre ainsi dans son travail que l’art doit contenir l’inébranlable notion de liberté où l’artistique s’épanouit dans la rigueur et les dérapages, ceux-là mêmes toujours contrôlés dans un instinct tout relatif puisque généré par nos connaissances nourries d’apprentissages, de savoirs et d’expériences. L’œuvre de l’artiste se révèle de façon tellement naturelle qu’il nous faut l’accepter afin de découvrir ses propos qui se matérialisent de façon singulière par une réflexion critique et constructive sur l’art et ses courants artistiques en y incluant les matières, les matériaux et les objets détournés. En artiste guidant son œuvre, elle joue en toute liberté des moyens d’exprimer son travail que sont la peinture, la sculpture, la photographie, la couture et la performance.


Yves Sabourin
curator - directeur artistique – auteur – conférencier - conseil
Inspecteur honoraire de la création artistique du Ministère de la Culture






(1) Aristide Bruant (1851-1925) chansonnier et auteur de la chanson « Nini peau de chien » publiée en 1895.
(2) Benetton Group, entreprise italienne créée en 1965 dans le domaine de la mode et de l’habillement.
(3) Talit : un vêtement à quatre coins, comme un châle, propre au judaïsme, pourvu de bandes noires et de franges.
(4) Hymne américain “The star- spangled banner” (La bannière étoilée). Compositeur, auteur, poème écrit par Francis Scott Key en 1814.
(5) Twitter entreprise américaine créée le 21 mars 2006 par Jack Dorsey, Evan Williams, Biz Stone et Noah Glass.
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